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> Christine Pfammatter, pro arte ulmer kunstiftung, Ulm, 2014

> Bruno Steiner, 1998


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Christine Pfammatter, pro arte ulmer kunstiftung, Ulm, 2014

Qu’est ce que la mer, on ne doit pas le demander aux poissons.
on apprendra juste qu’elle n’est pas en bois.
Hugo von Hoffmanstha
l
Est-ce que la vie est belle? Qu’est ce que le bonheur?
L’Art de Carine Doerflinger questionne. Ses questions élémentaires et existentielles se manifestent souvent sans détour sous forme de language.
Depuis ses débuts, l’artiste travaille des images d’écriture, des familles de mots, le language parlé et enregistré. Son art semble être interrogation, ce que l’on peut nommer dans un sens plus large, philosophie. Il ne s’agit pas seulement de remettre en question avec une attitude autoreflexive, mais aussi de répondre sous forme d’objets sensuels, qui illustrent son procédé de pensée. La relation entre signe et sens dépasse dans sa fonction d’image, la fonction sémantique. Elle fait plutôt un mouvement circulaire qui renvoit sur soi-même et ainsi sur son processus de création artistique.
Carine Doerflinger écrit avec du fil rouge, avec du béton, du plâtre ou de la résine. Ainsi elle se sert dans la vie qui lui propose assez de matière. La question qui se pose est quelle forme choisit l’artiste? Quel matériau convient à la matière ?
Carine Doerflinger parle avec la langue de la beauté, même après le post-moderne, et cela veut dire qu’elle ne parle pas seulement de quelque chose, mais qu’elle le manifeste. Ses oeuvres représentent quelque chose que nous appelons beau.
Mais qu’est-ce que l’art? Il est avant tout articulation. Dans l’oeuvre alphabet de 1998 une expression précise est exprimée: les positions de bouche épellant des voyelles sont coulées en latex, caoutchouc mou. Cette information sur notre corps est directe et esthétique. Et elle nous démontre le fonctionnement de l’art dans lequel la relation entre matériel, matière et substance est toujours reformulée. Elle s’attaque à l’art par la racine. Elle cherche toujours à aller au fond des choses et des émotions, toujours en quête de nouvelles solutions techniques et esthétiques et sans crainte de se dépenser. L’objet créé montre, entre autre, ce que cela signifie être artiste.
Dans l’oeuvre pas de temps de 2012 le thème est le manque de temps pour l’artiste. Des contraintes et des obligations quotidiennes peuvent la faire désespérer, de plus, les possibilités esthétiques sont presque infinies et il y a toujours la contrainte du choix. Le „caroussel des événements“ est une distraction, malgré l‘éveil du cerveau ou l’ordinateur allumé. Le cheminement de l’idée à la réalisation est semé d’embûches, l’artiste doit avancer, reculer, essayer, rejeter et trouver le matériau  convenable ou le financement. L’installation avec le décrottoir, dans lequel est entrelacée l’écriture pas de temps décrit exactement ce process et en même temps nous parle du manque de temps pour l’art dans le quotidien. L’objet ON de 2012 en béton semble nous montrer cette contrainte, cette obligation de production.
En plus, cette installation parle de et à chaque personne qui travaille. Quel temps reste-t-il à l’homme dans notre monde de haute technologie? Il sort tôt, rentre tard et les seule traces qu’il laisse sont sur le décrottoir.
Parfois, il se promène en forêt et laisse des empreintes dans le sol mou. Ou il adopte un jardin. Et il en prend soin et le protège. Même s’il sait précisement que finalement il va tourner en rond, en faisant le parcours d’un champ rectangulaire. Labyrinthe de 2011.
La nouvelle situation de vie de l’artiste se manifeste dans son oeuvre. L’air de la campagne et du jardin est le thème d’une multitude de travaux sous le titre le cauchemar du jardinier de 2009-2012.
Le jardinier, en cultivant la terre, peut être vu comme un pendant de l’artiste, avec une affinité spirituelle, qui lutte avec et parfois contre la nature pour la beauté de ses produits. Attaqué par des mauvaises herbes, des taupes ou le mauvais temps, la culture de légumes devient un vrai challenge. Et quand il a tout mis en ordre, un avion tombe du ciel. L’humour trouve son compte chez Carine Doerflinger, il apparait en forme de caméras de surveillance, de taupes ou d’hélice. En plus l’artiste nous fait observer qu’un jardin est aussi un produit culturel, jonché de plastique. Carine Doerflinger ne transfigure pas la nature mais elle nous montre sa diversité fascinante, de la flore à la faune, du cactus au pou jusqu’aux champignons, qu’elle transforme par des moyens artistiques en objets hybrides.
Des piliers semblables à des champignons sur leurs jambes sont bizarrement antropomorphes et paraissent avoir une conscience propre, et sont d’une grâce et d’une poésie extrême.
„Dans les bois existent des choses sur lesquelles on pourrait passer des années à réfléchir allongé dans la mousse“ écrivait Franz Kafka. Il nous reste à infirmer cette compréhension, de plus un jardinier sait que les processus décisifs se passent sous terre.
Carine Doerflinger n’a pas peur d’être représentative. Parce que la beauté n’est pas un décor mais le quotidien, elle existe dans toute forme et avant tout dans la nature. Dans une feuille, une plante en pot ou dans la structure des branches d‘arbres – tout est forme dans la nature et ainsi esthétiquement, tout est fascinant. La beauté est le premier point de contact que l’artiste a avec la nature. Et comme habituellement, il observe précisement, il n’oublie pas que la nature n’est pas une catégorie romantique mais une lutte acharnée pour la survie. Les veines des feuilles ne sont pas des ornements mais des conduites d’eau. Les fils, cordeaux, tuyaux et cordes en caoutchouc témoignent de cette connection à la vie. Dans l’oeuvre de Carine Doerflinger, ces jonctions de tuyaux ou de fils ont également toujours une composante existentielle. Le corps humain est traversé par des artères, tendons, nerfs et d’autres conduits dans lesquels circulent des liquides. Ou d’un jour à l’autre ils s’arrêtent de couler.
Ici, des faits autobiographiques entrent en jeu. Ancienne infirmière, Carine Doerflinger a recours à ses expériences en milieu hospitalier, c’est pourquoi apparaissent de temps en temps des ustensiles de bloc opératoire.
Dans le travail Kehrwoche de 2011 cette proximité avec les formes médicales est évoquée par des chiffons suspendus imprimés de symboles scientifiques. Le travail quotidien de nettoyage nous coûte de la sueur et des nerfs, les seaux sont lourds comme du plomb et la femme ou l’homme de ménage doivent être efficaces. Ils n’ont pas le droit d’être malades ou faibles. Mais de tels travaux, surtout quand ils sont peu ou mal payés, provoquent une usure et rendent malade, même si l’on les nomme par euphémisme „soin de chambre“. Ce travail se fait véritablement au détriment de leur santé jusqu’à en absorber leur substance vitale.
La politique et la critique sont toujours présentes dans l’art de Carine Doerflinger. Les animaux en peluche dans l’installation petites histoires du quotidien de 2004-2009 renvoient aux drames quotidiens dans les chambres d’enfants, de la naissance jusqu’à la mort. Ce qui est abyssal ne se voit qu’en deuxième lecture. Dans des animaux de peluche alignés, sont installés des appareils d’enregistrement et des hauts-parleurs, quand on presse sur le bouton, ils nous racontent l’instant le plus dramatique de leur vie. Le contraste entre le joli et le choquant crée de la tension et amène le spectateur à se poser des questions sur sa propre enfance.
Le jardinage ou un morceau de pelouse peuvent être une sortie de secours (sortie de secours de 2011). Ici un fil vert est débobiné. Mais le travail reste abstrait, comme le tissu des déesses du destin, parce que personne ne sait quel motif elles sont en train de tisser. La vie est souvent comparée à un labyrinthe, dans lequel il nous faut toujours retrouver le fil rouge. Ariane a offert un fil rouge à Thésée pour qu’il trouve son chemin dans le labyrinthe du Minotaure. L’art de Carine Doerflinger tisse encore plus loin le fil, elle en trouve même l’expression existentielle et nous offre ainsi un art grandiose


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Bruno Steiner Exposition Château de Bruchsal, juillet 1998.

Insolente, Carine Doerflinger, tire la langue, joue avec elle, l'étire, la déforme, la suspend...
Carine Doerflinger a la langue bien pendue. Hypersignifiance: l'oeuvre ploit sous les dires. Non pas seulement ceux qu'elle même apporte, expressions coutumières, clichés, lieux communs, ou paroles intimes: je suis moi aussi convié; j'associe, j'interprète...La nappe mise, je suis autorisé à tirer mes propres mots (maux) du sac. Mais Carine Doerflinger ne tient pas sa langue. Hypertrophiée, celle-ci se répand, s'épanche de façon impudique, voire obscène. Cette langue n'est pas de bois, formée au discours, c'est un organe, charnu, musculeux, difforme et mobile. Physique. Matière qui déborde la parole, la laisse sur le bout de la langue, instable, en suspens...
Concourant à la fois à la déglutition et à la parole, la langue est interstice entre la chair et l'idée, la sensation et la déformation, l'intuition et l'intelligence. Inscrite toute entière, résolument dans ce croisement, l'oeuvre de Carine Doerflinger n'est en rien conceptuelle: la chose conceptuelle, déniant le corps, trop émotif, est faite pour être comprise; et cette compréhension suffit à l'épuiser. Ici, tout au contraire, la pensée est irréductible à l'idée, à un message précis, car elle est trop incarnée. Le corps est partout convoqué dans la langue.
Anatomie: concept de corps.
Le corps est bien l'objet de l'oeuvre, il est à tout moment question de corps. ça parle de corps, ostensiblement: la langue, la bouche...le coeur bien sûr, les poumons aussi, les vaisseaux, artères et veines; la peau, les membres... Mais cette idée de corps, - d'un corps jamais à l'arrêt mais toujours reliant - est constamment éprouvée: Carine Doerflinger met son corps en jeu. L'oeuvre est toujours ouvrage. Couture, suture, tissage, soudure... sa pensée procéde toujours d'une production patiente, obstinée, laborieuse... parfois douloureuse même.
L'émotion qui s'exprime dans les installations de Carine Doerflinger naît du transport entre les images mentales et ses empreintes qui travaille la matière. Tirer la langue d'un pied de long: être dans le besoin, l'attente, le manque. Il n'y a rien à prendre dans ce qui nous est exposé, Carine Doerflinger est l'ouvrière acharnée d'un mouvement de désir.